Sarah Zitouni est ingénieure automobile et coach de carrière féministe, fondatrice de PowHER ta carrière. Ce qui l’anime au quotidien ? Aider les femmes à exploiter leur plein potentiel, à prendre leur place et à s’affirmer dans des milieux professionnels encore très dominés par les hommes.
Nous avons souhaité la rencontrer pour parler d’un sujet qui est sur toutes les lèvres : le syndrome de l’imposteur.
Communément attribué aux femmes, ce syndrome nous taraude. On a voulu comprendre pourquoi ? Quels mécanismes sociaux sont en jeu ? Et surtout, pouvons-nous lutter contre ceux-ci ?
Merci Sarah pour cet échange passionnant.
Bonne lecture.
Le syndrome de l’imposteur se comprend par des questions. Avez-vous constamment l’impression d’être une fraude ? De réussir par chance uniquement ? De ne pas mériter vos succès ? De viser bien plus haut que ce que vous ne pouvez obtenir ?
Et puis, avez-vous cette peur d’être ‘démasqué’ – qu’un jour tout le monde se rendra compte de votre incompétence ?
C’est bien cela, le syndrome de l’imposteur.
Avant toute chose, il faut préciser qu’il n’y a rien d’inné dans le syndrome de l’imposteur. Il n’y a donc rien au départ qui nous pousse à le ressentir plus ou moins.
Si ce n’est pas inné, alors c’est acquis. Et en effet, cela vient souvent de la petite enfance. On observe par exemple que l’on est souvent amené à complimenter les petites filles sur des choses passives, indépendantes de leur volonté (leur physique, notamment). A l’inverse, on complimente les garçons sur des compétences “actives” : tu joues bien, tu cours vite, et ainsi de suite.
Et ainsi, on se calque sur les attentes que l’on a intériorisées depuis le plus jeune âge. L’humain a très envie de se conformer : se conformer au groupe, mais aussi aux attentes que l’on peut avoir de lui. Sortir de ce cadre peut être extrêmement déstabilisant. On a l’impression d’être une imposture.
C’est pour cela que les femmes et les transfuges de classe souffrent souvent du syndrome de l’imposteur : parce que ce sont des gens qui, dans leurs réussites, sortent du cadre qu’on leur a imposé à un jeune âge.
La conséquence la plus grave est le burnout. Mais sans aller jusque là, on note quand même des conséquences importantes sur la santé physique et mentale des personnes sujettes au syndrome de l’imposteur. Ce sont des personnes qui vont souvent travailler très dur, de façon presque démesurée. Pourquoi ? Car pour elles, c’est une façon de compenser leur incompétence par une quantité et une force de travail inégalées.
Ce sont souvent ces mêmes personnes qui peinent à négocier leurs salaires au moment d’être embauché, et leurs augmentations par la suite. Elles ne veulent pas trop se mettre en avant, de peur d’abuser de leur chance.
Les personnes qui souffrent du syndrome de l’imposteur sont aussi très mal à l’aise quand on leur fait un compliment. Elles auraient même tendance à tirer à vue sur les compliments. En disant, par exemple, “je ne l’ai pas fait seule, c’était un travail d’équipe” ou alors “oui, mais il y avait une coquille sur une slide…”
Je remarque souvent chez ces personnes ce mélange d’indignation et de résignation. Elles sont indignées lorsqu’elles apprennent que leurs collègues gagnent plus qu’elles. Et puis, elles sont résignées, car elles se disent qu’au fond, si elles sont moins payées, c’est qu’elles ne méritent pas plus.
Ca ne peut pas être vérifié car c’est de l’auto déclaratif. On retrouve souvent la même statistique : 75% des femmes contre 50% des hommes disent souffrir du syndrome de l’imposteur.
Comment l’expliquer ?
D’abord, par ce que je disais précédemment : les femmes sont socialement moins “attendues” sur des parcours de réussites.
Le syndrome a d’ailleurs été découvert autour des femmes. Ce sont deux psychologues, Pauline Clance et Susanne Imes, qui ont mis le doigt dessus en 1978, en allant enquêter sur des dirigeantes d’entreprises. Elles leur demandaient d’évaluer leurs compétences. Elles demandaient ensuite à leurs collègues de les évaluer. Systématiquement, les femmes avaient tendance à sous-estimer leurs compétences versus ce que disaient leurs collègues.
Donc, pour répondre à ta question : oui, les femmes ont plus tendance à souffrir du syndrome de l’imposteur. Mais ça ne veut pas dire qu’elles sont les seules.
Tu me parlais également des minorités. Effectivement, les transfuges de classe sont plus sujets au syndrome de l’imposteur. Pour la même raison que les femmes : ce sont des personnes qui sortent des rangs. Elles s’affranchissent des attentes de la société. Une personne issue d’un milieu ouvrier qui devient ingénieur ou banquier aura sans doute l’impression d’être une imposture, tout simplement parce qu’elle sera sortie du cadre qui lui était en quelque sorte prédestiné. C’est le fait de n'avoir aucun ou peu de modèles autour de soi et donc d'être l'élément hétérogène dans un groupe homogène (par exemple être la seule femme dans un groupe d’hommes, ou la seule personne racisée). Être pionnier, ça a un coût.
Je donne des exercices concrets qui ont fait leur preuve.
J’encourage d’abord à dissocier le syndrome de l’imposteur de soi-même. Car, en effet, cette petite voix intérieure qui nous déprécie, ce n’est pas nous. C’est un saboteur que nous avons intériorisé, et qu’il faut dans un premier temps extérioriser. Pour ce faire, il faut lui donner un nom.
Extérioriser son syndrome de l’imposteur, c’est se donner la possibilité de lui parler en retour, peut-être même le ridiculiser. Ça aide beaucoup à désamorcer la chose, à la dédramatiser.
Ensuite, j’encourage son “moi” intérieur à reprendre le dessus, par des actions concrètes. Celle que je donne souvent : prendre l’habitude d’écrire chaque semaine ses réussites. Ça peut être des petites victoires. Tout ce qui donne un sentiment de satisfaction.
Cela permet de remarquer factuellement ses réussites.
Pour faciliter cet exercice, et encourager l’empathie envers soi-même, je recommande de reporter ces actions sur une personne qui nous est chère. Se demander : “si c’était mon amie, ma soeur, ma fille, est-ce que je l’aurais félicitée pour cette action”. Si la réponse est oui, alors il faut le noter.
Car j’ai moi-même fait l’expérience du syndrome de l’imposteur. Depuis que je suis toute petite, je rêve de devenir ingénieure mécanique. Mais j’étais issue d’un milieu ouvrier et d’une famille immigrée, et le déterminisme social en aurait décidé autrement.
Je parviens à intégrer une école d’ingénieur. Et là, panique. J’ai eu l’impression d’être arrivée là par accident. Pourtant, je n’ai pas d’autre alternative : je vais devenir ingénieur. Mais c’est plus fort que moi, je n’arrive pas à m’en convaincre. Cela se traduit par de l’autosabotage. Face à mes examens, je paniquais et répondais à l'inverse de ce que j’avais appris (et pourtant bien compris !). Jusqu’au jour où un professeur a compris mon malaise. Il m’a confrontée aux faits : j’avais bien été sélectionnée parmi d’autres pour intégrer cette école. Je méritais entièrement ma place.
Et puis… ça a pris 10 ans. 10 ans pour me débarrasser de cette petite voix intérieure. Alors, je me suis dit que ce serait bien que ça aille plus vite pour les autres. Pour elles, mais aussi pour moi. Car j’aimerais voir plus de femmes dans mon métier. Je me dis qu’en ne combattant pas ce syndrome de l’imposteur, on se prive potentiellement de talents extraordinaires de toute une moitié de la population. C’est extrêmement dommage.
C’est avant tout un sujet de représentativité. Lorsque l’on ne se sent pas représenté dans un contexte professionnel, on peine à s’y faire une place.
On pourrait donc commencer par lutter contre certains biais. Beaucoup de métiers ne connaissent pas de parité homme-femme car la vie d’entreprise est encore très peu adapté à la vie de famille. Dans la plupart des foyers, ce sont encore les femmes qui gèrent l’espace domestique. Moyennant quoi, à force de mener deux vies en une, elles abandonnent souvent leur ascension professionnelle pour prioriser la famille.
Si l’on adaptait plus le monde de l’entreprise aux contraintes de la vie familiale, nous verrions plus de femmes à des postes stratégiques et importants, et il y aurait moins d'occurrence du syndrome de l’imposteur.
Au sein des organisations, on veille de plus en plus à la parité homme-femme. C’est une bonne chose, mais il faut aller plus loin. Par exemple, en réunion, s’assurer que les femmes ont autant de temps de parole que les hommes. De nombreuses études ont montré que les hommes ont bien plus tendance à interrompre que les femmes. Mais si je suis interrompue, quelle est la chance que je retente de m’exprimer dans la réunion ? C’est pour cela qu’on arrive à des situations où les femmes peinent à prendre pleinement leur place et à se sentir légitime dans des contextes professionnels.
On est sur la bonne voie, mais il y a encore du chemin à parcourir.
Merci encore, Sarah.
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