La rémunération, une simple affaire de chiffres ? Loin de là ! En réalité, le sujet est éminemment émotionnel, et peut lourdement peser sur la santé mentale des salariés. D’ailleurs, il est intéressant d’observer que la part de fixe, variable (individuel ou collectif), ainsi que la transparence des salaires, activent des mécaniques différentes. Explications.
80% des travailleurs préfèrent une bonne santé mentale à de plus hauts revenus. Deux tiers d’entre eux se disent même prêts à accepter une baisse de salaire pour un emploi qui préserve leur bien-être*. Cette opposition entre un bon revenu et une santé mentale dégradée révèle avant tout notre rapport au travail, “comme si celui-ci n’était que tripalium, et que les souffrances qu’il peut causer devaient être contrebalancées par un meilleur revenu”, analyse Kevin Recorbet, coach en neurosciences. Est-ce là la source de tous les ennuis ?
Si on ne pourra pas répondre à cette question philosophique en quelques lignes, force est de constater que la question du salaire est bien plus complexe qu’il n’y paraît. Après avoir travaillé près de 10 ans en tant que Responsable rémunération chez BNP Paribas, Sandrine Dorbes peut en témoigner. A la tête de How Much, sa propre société de conseil, elle essaie de diffuser chez ses clients l’idée peu partagée que “le sujet de la rémunération est avant tout émotionnel. C’est d’ailleurs pour cela que nous avons beaucoup de difficultés à parler d’argent”. Un point de vue qui résonne chez Virgile Raingeard, Fondateur de Figures, une solution de gestion de la rémunération dont le nom symbolise cette double facette de la rémunération : des chiffres bruts et des visages… comme autant de problématiques humaines.
En fait, la rémunération touche à notre part d’intime. Auteur de l‘ouvrage “Ce que l’argent dit de vous”, Christian Junod l’explique parfaitement. Il observe que nous avons chacun notre propre langage de l’argent, et qu’il peut exprimer pour certains la justice, la liberté, l’équité, la reconnaissance etc. Surtout, “le problème est que l’on confond notre valeur en tant qu’individu avec celle de nos compétences sur le marché”, affirme Sandrine Dorbes. C’est d’ailleurs ce qui peut expliquer certaines dérives d’individus bien rémunérés qui se sentent comme “autorisés” à mal se comporter, parce qu’ils estiment avoir davantage de valeur sociale. C’est ce que dépeint Robert Sutton dans son ouvrage “Objectif zéro sale con”.
Gagne-t-on trop ou pas assez comparé à notre collègue Matthieu au regard de notre carrière, notre âge, notre impact sur la société ? “Nous nous comparons sans cesse aux autres”, souligne Sandrine Dorbes. Un besoin de se mesurer à autrui qui ne serait pas uniquement le fruit d’une construction sociale humaine. Car, voyez-vous, une expérience menée auprès d’animaux (chiens, oiseaux, singes) démontre qu’eux-aussi tolèrent mal l’inéquité. Dans cette vidéo, on découvre des singes qui ne supportent pas de ne pas recevoir la même récompense que leurs comparses après avoir fourni un travail identique. Des résultats qui ne surprennent pas Virgile Raingeard : “le sentiment d'équité est plus important que le montant de quelconque augmentation quand il s'agit de motivation/démotivation !”. Communiquer de manière claire sur l'équité salariale est presque 13 fois plus important pour la rétention et l'engagement des employés que parler de niveaux élevés de rémunération et d'avantages, selon un rapport du 14 mars de The Josh Bersin Co., une firme de conseil en capital humain.
Pour préserver notre santé mentale, faudrait-il donc instaurer un revenu universel pour que nous cessions de nous comparer ? Là encore, tout n’est pas si simple. Oui, nous aimons l’équité, mais ne passe-t-elle pas par la méritocratie ? C’est là que peut intervenir le variable. “Même si je n’en suis pas fan, il est vrai que le variable individuel fonctionne plutôt bien sur des tâches simples. Mais toutes les études ont prouvé qu’il était contre productif sur des tâches complexes”, nuance immédiatement Sandrine Dorbes. En outre, le variable est assez facile à mettre en place pour récompenser la performance d’un sales. On peut aussi se dire que les fonctions de production peuvent être quantifiées, et encore que… tout dépend du type de production ! Mais quid des fonctions support ? “Dans ces métiers-là, les entreprises que je rencontre ont souvent du mal à décrire ce qu’est la performance. Du coup, la prime individuelle se vide de son sens parce qu’elle est liée à la réalisation de la fiche de poste. Plutôt que de brandir la menace d’une mesure disciplinaire en cas de travail mal effectué, on conditionne le versement de la prime à la bonne réalisation du job ”, alerte-t-elle.
L’autre effet délétère du variable est qu’il peut être une source de stress importante. “L’attribution ou non du variable est souvent dévoilée durant l’entretien de fin d’année. Ce temps d’échange qui devrait être axé sur les perspectives de développement du salarié est alors totalement cannibalisé par cette question”, regrette Virgile Raingeard. Certaines personnes sont à l’aise avec cela, “mais pour d’autres, c’est difficile à vivre”, observe Kevin Recorbet. Une gêne liée à un manque de confiance en soi et en sa valeur, ou même une aversion à la négociation, comme dans le cas du fondateur de Figures qui nous explique percevoir l'exercice comme un rapport de force, un micro-conflit. C’est d’ailleurs pour éviter ces négociations et assurer plus d’équité de traitement entre les salariés que Virgile Raingeard a créé Figures : “le but est d’aider les entreprises à proposer les salaires les plus justes par rapport au marché”. Si l’entreprise tape directement dans le mille, nul besoin de négocier !
L’histoire sans fin : Assurer un bon salaire fixe et se détacher du variable peut éviter une forme d’addiction à la prime : Laurent de la Clergerie, le patron de LDLC, compare le variable à une drogue que l’on va chercher à une dose de plus en plus élevée.
Alors, parce qu’il suppose l’atteinte d’objectifs communs, le variable collectif serait-il la parade aux dérives du variable individuel ? “Il est vrai qu’il peut entraîner un esprit de communion au sein de l’équipe. Mais il comporte aussi le risque de créer de la frustration chez certains si des membres de l’équipe se reposent sur les autres”, souligne Kevin Recorbet. Toutefois, dans sa pratique, Virgile Raingeard observe que le variable collectif est généralement plus apprécié que déprécié par les équipes : “on perd ou on gagne ensemble, ce qui est plus sain”, souligne-t-il.
Les mots valent plus que les chiffres ? “ Il est important de conjuguer le variable à la récompense d’une performance précise que l’on est capable de définir clairement, et de challenger régulièrement”, affirme Sandrine Dorbes. Elle insiste aussi sur l’importance du message qui accompagne la prime : “l’octroi d’une prime d’intéressement n’apporte pas une grande source de satisfaction si le salarié ne sait pas exactement dans quelle mesure il a contribué à la performance de l’entreprise”. À l’inverse, si le salarié comprend le rôle qu’il a joué, la satisfaction sera d’autant plus grande car il percevra cette prime non pas comme un dû vide de sens, mais comme une forme de reconnaissance.
Tous les commerciaux chevronnés vous le diront : bien négocier son fixe, c’est la base ! Et cette remontée du terrain est également corroborée par la science. “Un salarié qui jouit d’un bon fixe va généralement arriver au bureau avec moins de charge mentale, et adopter une posture moins concurrentielle que si ses revenus reposent en grande partie sur le variable”, relève Kevin Recorbet.
En fait, le fixe n’agit pas en soi comme un facteur de motivation intrinsèque, mais il a un vrai impact sur la santé mentale. Quand la rémunération n’est pas placée au bon niveau, l’impact est délétère sur la motivation a expliqué le prix Nobel d'Économie Daniel Kahneman. “Quand il y a un problème d’inéquité, l’augmentation de salaire fixe va avoir un impact important”, analyse Benoît Chalifoux, conférencier international et spécialiste de la motivation. Plus que le variable, c’est donc le fixe qui peut impacter sur la santé mentale. En résumé, un bon fixe apaisera, tandis qu’un mauvais fixe conditionné à du variable sera souvent source de stress.
Impossible de terminer cet article sans aborder le sujet qui génère sans doute le plus de crispations : la transparence des salaires. Pour Sandrine Dorbes, cette transparence se définit par la capacité pour une entreprise d’expliquer à tous comment un salaire a été déterminé, et comment il va évoluer dans le temps. “Il faut donc être droit dans ses bottes, mais aussi avoir la culture d’entreprise adéquate pour pratiquer cette transparence”, affirme-t-elle. Virgile Raingeard en sait quelque chose : qu’il s’agisse de Figures ou de son ancienne entreprise Comet où il officiait en tant que VP People, il a toujours pratiqué la forme de transparence la plus jusqu’au boutiste. Il ne s’est pas contenté d’afficher des grilles de salaires publiques : il a permis à chacun de ses employés de consulter la rémunération des autres, y compris la sienne. Mais pratiquer la pleine transparence, ce n’est pas pour tout le monde. Certaines personnes ne désirent pas connaître le salaire de leurs collègues, quand d’autres sont au contraire obsédés par la question, consultant en permanence les salaires des autres. “C’est pourquoi il faut en parler immédiatement dès l’annonce pour éviter ces désagréments”, recommande le CEO de Figures.
Peut mieux faire : Une étude menée par Figures démontre que la France est mauvaise élève en matière de transparence salariale, juste derrière l’Allemagne.
Mais au final, quand les règles du jeu sont connues et acceptées de tous, la transparence peut venir pacifier les relations. “C’est ce que j’ai pu observer chez certaines des personnes que j’accompagne. Savoir comment elles sont positionnées et comment elles peuvent avancer par rapport aux autres a eu pour effet de lever des barrières mais aussi de diminuer les risques psychosociaux”, affirme Kevin Recorbet.
Le saviez-vous ? Une récente directive européenne prévoit d’instaurer davantage de transparence dans les systèmes de rémunération (salaires et avantages compris). “Les travailleurs disposent du droit de demander et de recevoir des informations sur leur niveau de rémunération individuel et sur les niveaux de rémunérations moyens, par sexe et par catégorie de travailleurs accomplissant un travail de même valeur”, explique le Ministère de l’Économie.
Nos trois interviewés sont unanimes : la transparence ne règle pas à elle seule des problématiques de longue haleine. Encore faut-il que les entreprises établissent au préalable des règles claires et connues de tous pour pouvoir justifier les rémunérations. “Mais quand ce travail est bien fait, la transparence permet de réduire les inégalités, et d’instaurer un lien de confiance avec les candidats puis les salariés”, conclut Virgile Raingeard. Avec à la clé, davantage de sécurité psychologique.
*Étude UKG auprès de 3400 personnes dans 10 pays, mars 2023.
Paulina Jonquères d'Oriola
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