En France, 1 à 2 millions de personnes n’oseraient pas faire leur coming out au travail, preuve que malgré les avancées induites par le mariage pour tous, la vie des personnes LGBT+ en entreprise est encore loin d’être celle de monsieur et madame tout le monde. Alors, comment traiter au mieux ce sujet dans l’entreprise ?
Jean a toujours été “out” au travail. “Pour moi, c’était naturel, je n’hésitais pas à parler de mon conjoint avec mes collègues, à me maquiller et à porter des bijoux”, se souvient le community manager. Un simple besoin d’être lui-même. Malheureusement, dès sa première expérience en alternance dans une société de conseil en ingénierie, le jeune homme a été victime de discriminations, se sentant exclu de cette entreprise aux accents de “boy’s club”. “On ne me disait pas bonjour, on ne me serrait pas la main, on ne me proposait pas de venir déjeuner”, rapporte-t-il.
Plus tard, Jean vit à nouveau une mauvaise expérience dans l’univers de la tech. Il y éprouve une sensation “d’homophobie constante”, oppressé par les remarques pinçantes de sa manager. “C’était des choses comme : “Tu as mis ton collier de bourgeoise versaillaise aujourd’hui ! Je ne te demande pas d’enlever tes bagues mais change de posture”. Il subit aussi régulièrement des attaques sur son physique qui finissent par affecter sa santé mentale à tel point qu’il n’ose plus aller au bureau et préfère rester en télétravail. “Je souffrais de troubles anxieux et c’est même allé jusqu’à la dépression”, nous confie-t-il. Jean finit par alerter les services RH mais se confronte à un mur, par manque de formation de son interlocutrice sur le sujet. “Cette entreprise a essayé de me faire taire, et j’ai fini par démissionner”, raconte-t-il.
Le cas de Jean est malheureusement loin d’être isolé. D’après le baromètre de l’association l’Autre Cercle, 28% des salariés LGBT+ ont été victimes d’au moins une agression LGBTphobe dans leur organisation (insultes, moqueries, actes de violences physiques, etc). La situation est encore plus difficile pour les personnes transgenres et non-binaires qui sont 37% à avoir subi des agressions sur leur lieu de travail, soit 9 points de plus par rapport au reste des Français. Ce baromètre nous apprend aussi que plus de la moitié des employés LGBT+ (53%) déclarent avoir entendu des insultes LGBTphobes sur leur lieu de travail.
Fort logiquement, ces micro agressions ne sont pas sans conséquences sur la santé mentale des LGBT+. Selon Santé publique France, la prévalence des troubles dépressifs est deux fois plus élevée chez eux que dans la population générale. Quant aux tentatives de suicides, elles sont trois fois plus fréquentes. Une étude danoise a même pointé un risque de faire une tentative de suicide 8 fois plus important chez les personnes transgenres, rapporte Le Monde.
De plus, comme l'explique l’étude de Santé publique France, même si le lien entre les violences et une santé mentale dégradée est établi, “il n’est pas nécessaire de subir des violences physiques ou verbales pour qu’une détresse psychologique apparaisse. L’obligation pour les personnes LGBT+ de dissimuler leur identité pour éviter d’être stigmatisées, et donc d’adopter des personnalités publique et privée distinctes, suffit à engendrer des troubles de la santé mentale. Ce phénomène d’adaptation permanent a été conceptualisé sous le terme de « stress minoritaire » par Meyer en 2003”.
Parce qu’elle est le théâtre de micro agressions au quotidien, l’entreprise ne peut pas étouffer un sujet qui concerne a minima 1 personne sur 10 en France, et même 1 sur 5 parmi la jeune génération. “Ce risque accru de dépression tranche avec l’image que les Français ont de la communauté LGBT+. On pense à tort que ces questions sont dépassées depuis le mariage pour tous, mais il existe un fort décalage de perception, surtout par rapport à ce qui peut se passer dans les campagnes ou petites villes”, pointe Maxime Ruszniewski, fondateur de Remixt, une plateforme de sensibilisation à la diversité.
Sophie, Responsable SEO, peut témoigner de ces disparités. Durant son premier emploi (en 2004), cette mère de deux enfants n’était pas encore “out”, car les mentalités n’étaient clairement pas préparées. Puis elle a évolué dans un média féminin parisien dans lequel elle s’est sentie suffisamment en confiance pour se révéler. “Mon homosexualité était un non sujet dans cette entreprise. Par exemple, mon fils, qui n’est biologiquement pas le mien car je ne l’ai pas porté, a toujours eu son cadeau de noël. C’est un geste important”. Aujourd’hui, Sophie vit dans une petite ville de province. “Je vois la différence dans la manière d’aborder l’homosexualité. Par exemple, ma compagne, qui est pourtant très militante, n’est pas “out” dans son job. Elle travaille dans la logistique pour un domaine viticole, et clairement, elle ne se sent pas à l’aise pour en parler”, nous confie-t-elle.
A travers les témoignages de nos interviewés, on comprend que l'entreprise a bien un rôle à jouer pour les membres de la communauté LGBT+ qui peuvent de surcroît déjà souffrir dans leur vie privée, avec un manque de soutien de leurs proches. “La dépression ne vient pas de nul part, mais d’une forme d’isolement”, martèle Maxime Ruszniewski. Pour Alyz K Dinant, consultant en inclusion LGBTQIAP+ et co-créateur d’un escape game de sensibilisation, il faut effectivement se rendre compte de “l’effet cumulatif” de ces micro agressions au travail qui viennent s’ajouter à des situations de ruptures familiales. “Devoir sans cesse vérifier que l’on ne donne aucun indice sur son orientation ou son identité de genre, voire repousser le moment d’une transition, tout cela provoque de gros dommages sur la santé mentale”, insiste-t-il. Sachant que d’après le baromètre L’Autre Cercle, une personne LGBT+ sur deux n’est pas encore “out” au travail…
De plus, il existe aussi des discriminations à l’embauche qui demeurent courantes et poussent les LGBT+ vers davantage de précarité financière. Une étude de l’INSEE a notamment fait ressortir un écart de ‑ 6 % à ‑ 7 % de rémunération dans le secteur privé, et de ‑ 5 % à ‑ 6 % dans le secteur public pour les hommes homosexuels. Un tel écart ne s’observe pas en revanche pour les femmes homosexuelles. “La situation économique des personnes transgenres est encore plus compliquée. Or, ces difficultés financières ne sont pas bonnes pour la santé mentale”, ajoute Alyz K Dinant. Pour Maxime Ruszniewski, le sujet est aussi lié à celui de la “virilité toxique” qui voudrait que seul un père de famille avec des enfants puisse accéder à plus de responsabilités dans l’entreprise.
Parce qu’il n’est pas possible de demander aux salariés leur orientation sexuelle, et donc d’appliquer des politiques de quota par exemple, les mesures se concentrent principalement sur la sensibilisation. C’est d’ailleurs ce que proposent Alyz K Dunant avec son escape game, et Maxime Ruszniewski à travers des parcours en ligne qui permettent de tester ses propres connaissances sur le sujet mais aussi de se mettre davantage dans la peau d’une personne LGBT+. “Le développement de cette empathie envers les LGBT+ est central. L’entreprise doit devenir plus accueillante”, affirme Alyz K Dunant. L’objectif de ces dispositifs est notamment de sensibiliser les collaborateurs et managers aux micro agressions qu’ils commettent au quotidien sans même s’en rendre compte. “Oh, tu as bon goût comme tu es gay”, “On va tenir nos objectifs, on n’est pas des pédés”, “Tu n’as pas d’enfants, tu n’as pas besoin de prendre trop de vacances à Noël” etc… De plus, il est important d’effectuer régulièrement des piqûres de rappel sur ces sujets afin que la sensibilisation ne soit pas un acte isolé.
Après sa mauvaise expérience, Jean a recherché une société dans laquelle il se sentirait en sécurité. “Chez mon employeur actuel, l’un des membres du Codir est ouvertement “out”, et en parle dans les vidéos d’onboarding. Pour moi, ces rôles modèles sont importants”, affirme-t-il. De plus, Jean nous raconte avoir déjà eu par le passé un manager gay qui l’a formidablement accompagné au sujet de son homosexualité au travail. “C’était une personne ressource pour moi dans l’entreprise, il m’a beaucoup inspiré et a diminué ma charge mentale. Plus cette personne est haut placée, plus cela donne de bons indicateurs même si bien sûr, il faut que cela infuse dans le reste de l’entreprise”, analyse-t-il.
Parce qu’ils sont en première ligne, les managers doivent particulièrement être formés pour distiller les bonnes pratiques jusqu’en bas de la pyramide. “De mon point de vue, l’écoute active est extrêmement précieuse. Il s’agit simplement de demander au salarié comment il souhaite être accompagné, par exemple s’il est en train de transitionner, et ne pas décider à sa place”, souligne Jean. De même, le rôle des RH est crucial pour donner le ton, dès le livret d’accueil du salarié par exemple. “Les RH doivent faire attention à ce que les mails envoyés aux employés soient inclusifs. Par exemple, parler de congé d’accueil de l’enfant et pas forcément de congé paternité. On peut aussi offrir la possibilité à un.e salarié.e transgenre d’utiliser un autre prénom que celui sur ses papiers officiels, pouvoir rajouter un.e conjoint.e sur sa mutuelle etc. Pour une personne LGBT+, c’est central. Cela lui envoie le message qu’elle existe”, illustre Alyz K Dunant.
Une fois les collaborateurs et managers formés, tous nos interlocuteurs s’accordent à défendre une politique de tolérance zéro : reprendre l’auteur d’une micro agression dès qu’elle advient, et même sanctionner si nécessaire.
La création d’un réseau ou groupes d’employés ressources dans l’entreprise permet d’avancer sur le sujet. C’est d’ailleurs une initiative que Jean a prise dans son autre entreprise. “Avec le membre du codir qui est ouvertement “out”, nous avons créé ce groupe et mené des activités de sensibilisation auprès des autres collaborateurs pour déjouer les a priori et leur donner des conseils pour devenir à leur tour des personnes alliées sur lesquelles les LGBT+ peuvent compter dans l’entreprise”, rapporte-t-il. La création de ces groupes s’accompagne parfois d’un audit qui permet de faire un état des lieux et pointer ce qui dysfonctionne avant de mettre en place les bonnes pratiques.
Enfin, il ne faut pas non plus oublier que les sujets liés à l’inclusion et la diversité sont tous fortement intriqués les uns aux autres. “Les entreprises commencent par les sujets d’égalité H/F puisque cela touche la moitié de la population”, pointe Maxime Ruszniewski. Un regard partagé par Sophie qui nous confie avoir toujours trouvé qu’il était “encore plus difficile d’être une femme tout court qu’une homosexuelle au travail”. Et de conclure : “pour moi, le problème, ce n’est pas l’entreprise en soi, mais la considération des personnes différentes dans la société”.
Si vous souhaitez être accompagné sur le sujet, moka.care propose une sélection de praticiens spécialement formés dans le suivi des personnes LGBT+ et que vous pouvez identifier grâce à la mention LGBTQIA+ sur leur profil lors de votre recherche. Nous proposons également des formations de sensibilisation à cette thématique pour l’ensemble de votre entreprise.
Paulina Jonquères d’Oriola
Dans ce guide en partenariat avec le cabinet de conseil Korn Ferry, vous apprendrez :
Avec moka.care, donnez accès à vos équipes à :
* Résultat de l’étude “People at Work 2022” de l’ADP, en Septembre 2022
Dans ce guide en partenariat avec le cabinet de conseil Korn Ferry, vous apprendrez :
Un monde qui change demande des éclaireurs qui évoluent aussi. Dans ce guide en partenariat avec Kea & Partners, vous apprendrez :
Dans ce guide, vous apprendrez comment :
Dans ce guide en partenariat avec Yaggo, vous découvrirez :
Dans ce guide, vous apprendrez comment :