Les traumas ne s’arrêtent pas aux portes du bureau. Qu’ils trouvent leur origine dans la sphère personnelle ou professionnelle, les traumatismes touchent tout le monde sans distinction. Les frontières entre vie privée et vie professionnelle sont souvent floues, et leurs effets irritabilité, réactivité exacerbée, tensions peuvent rapidement impacter les relations de travail et le bien-être collectif.
Pour mieux comprendre ces enjeux, nous avons rencontré Dr Edouard Bougueret, expert en gestion des traumatismes et praticien EMDR Europe. Dans cette interview, il partage son expertise et propose des solutions concrètes pour reconnaître les effets du trauma, agir rapidement en entreprise, et transformer ces épreuves en opportunités d’apprentissage et de résilience.
Dans sa définition stricte, utilisée par les psychiatres, un trauma est une perturbation émotionnelle persistante liée à un événement éprouvant de la vie. On peut bien sûr penser au fait d’être victime ou témoin ou touché par un attentat, un décès brutal ou un suicide dans son entourage, des violences dans son enfance, etc.
Il y a aussi des formes de trauma plus insidieuses, moins évidentes : les événements qui, pris un par un, peuvent paraître minimes, mais dont l’accumulation devient traumatisante. C’est le cas par exemple du harcèlement.
En EMDR, la notion de trauma est d’ailleurs très large : il s’agit de n’importe quel événement du passé qui a un impact sur le présent.
Un événement traumatisant peut entraîner un trouble de stress post-traumatique (TSPT).
Un traumatisme peut avoir des conséquences profondes et variées sur les individus, parfois des années après l’événement initial. Le stress post-traumatique (SSPT) est l’une des manifestations les plus connues, pouvant se déclarer bien après l’événement, souvent sous forme de perturbations émotionnelles et comportementales.
Parmi les conséquences courantes, on retrouve :
Le contexte actuel, marqué par des crises économiques, géopolitiques et environnementales, est propice à l’apparition de traumatismes. Ces événements, par leur intensité et leur répétition, génèrent un sentiment de menace permanente qui peut avoir des impacts profonds sur la santé mentale.
Un facteur aggravant réside dans notre rapport à l’actualité. Certaines personnes développent une véritable addiction aux chaînes d’information en continu, qui fonctionnent sur un principe de répétition et maintiennent le cerveau dans un état d’alerte. Ce phénomène, comparable à une addiction, peut renforcer les émotions négatives et l’impression d’être constamment en danger.
Pour se protéger, il est essentiel de réguler son exposition à l’information en :
Non, il n’y a pas de règle universelle en matière de traumatisme. Un même événement peut affecter les individus de manière très différente, et il est souvent difficile de prédire qui développera un trouble de stress post-traumatique (TSPT) ou une autre réaction traumatique.
Certaines statistiques suggèrent que des facteurs comme le genre ou l’histoire personnelle peuvent jouer un rôle. Par exemple, les femmes peuvent être statistiquement plus sujettes à développer un TSPT dans certains contextes, tout comme les personnes ayant déjà un passé émotionnellement ou psychologiquement chargé. Cependant, ces statistiques sont à nuancer : chaque individu réagit en fonction d’une combinaison complexe de son histoire, de ses ressources personnelles, de son environnement et de sa perception de l’événement. Il est donc essentiel de ne pas comparer les réactions ou juger celles des autres.
Un trouble de stress post traumatique ne se règle pas tout seul : c’est un peu la double peine car l’individu qui a vécu le trauma est aussi celui qui doit travailler à sa résolution.
On ne peut pas changer les autres ni réécrire le passé. En revanche, on a le pouvoir de travailler sur soi-même, sur sa perception et sur ses réactions face à ce qui a été vécu. En agissant, on ne cherche pas à effacer le traumatisme, mais à diminuer son impact émotionnel sur le présent.
Ce travail sur soi peut être mené dans le cadre d’un accompagnement psychologique via la pratique de l’EMDR, par exemple.
La première chose à savoir est qu’il faut éviter absolument de replonger la personne dans son traumatisme. C’est là que l’EMDR se distingue comme une méthode particulièrement efficace et adaptée.
L’EMDR, pour Eyes Movement Desensitization and Reprocessing (ou Désensibilisation et Retraitement par le Mouvement Oculaire), est aujourd’hui l’une des thérapies les plus étudiées au monde. Cette méthode repose sur des stimulations bilatérales alternées, comme le mouvement des yeux, pour aider le cerveau à retraiter naturellement les souvenirs traumatiques. Même si son fonctionnement exact n’est pas encore totalement compris, les résultats sont indéniables : les personnes rapportent un apaisement émotionnel significatif après les séances.
Le principe de désensibilisation est central : il ne s’agit pas d’effacer le souvenir du traumatisme, mais de réduire son impact émotionnel pour qu’il devienne plus supportable. Beaucoup souhaitent apprendre à "contrôler" leurs émotions, mais l’EMDR leur enseigne plutôt à les réguler de manière saine et adaptée.
L’EMDR s’appuie sur une capacité naturelle du cerveau : celle de retraiter et de réparer les souvenirs, un peu comme le corps répare une fracture. Tant que les neurones sont fonctionnels et que les outils adéquats sont utilisés, le cerveau peut guérir des blessures profondes. Mieux encore, ce processus permet souvent de tirer des ressources nouvelles de ces expériences, renforçant ainsi la résilience et la croissance personnelle.
Oui, l’EMDR est une méthode adaptée à toutes les personnes, car elle agit directement sur le traitement des informations par le cerveau, un mécanisme commun à chacun. Contrairement à d’autres approches qui nécessitent un lâcher-prise ou une disposition mentale particulière, l’EMDR repose sur des stimulations bilatérales qui activent le processus naturel de retraitement des informations dans le cerveau.
Il n’y a donc pas de "réfractaires" à cette méthode. Néanmoins des adaptations sont parfois indispensables pour certaines personnes. On ne fait pas la même chose avec tout le monde.
Oui, l’EMDR peut tout à fait s’appliquer à des groupes, et cette approche s’est notamment développée dans des contextes où un grand nombre de personnes avaient besoin d’un accompagnement, comme en Israël avec des pompiers ou des infirmiers confrontés à des événements traumatiques en masse.
La richesse de ce modèle réside dans le fait qu’il ne nécessite pas de partager ou de verbaliser son traumatisme. C’est important car entendre les autres parler de l’événement, de ce qu’ils ont vu, des détails dont ils sont au courant, peut aggraver le traumatisme chez les autres.
Les séances de groupe, composées de 10 à 12 personnes par thérapeute, durent généralement entre 1h30 et 2h. Il est important de se déconnecter du quotidien pendant ce moment : pas de téléphones, pas de mails.
En début de séance, je rappelle bien sûr pourquoi nous sommes là, mais juste après je propose à chacun de partager quelque chose de positif. J’utilise ensuite un protocole qui inclut des outils comme le dessin pour permettre à chacun de travailler sur son trauma de manière personnelle et discrète.
Chaque participant évalue son niveau de perturbation sur une échelle de 0 à 10 en début de séance, et le processus vise à réduire ce chiffre au fil des exercices. Ce travail en groupe permet aussi d’identifier les personnes qui ont besoin d’un suivi individuel plus approfondi. En groupe, il est essentiel de respecter cette limite : ce n’est pas un lieu pour une thérapie personnelle approfondie.
L’EMDR sollicite beaucoup d’énergie mentale. Les participants sont donc souvent fatigués après la séance et je leur conseille de prendre un temps pour se reposer, marcher un peu, et éviter de reprendre des activités demandant une grande vigilance, comme conduire.
En plus d’apaiser les perturbations émotionnelles, les participants ressortent souvent de ces séances avec une meilleure connaissance de leurs forces et d’aspects positifs d’eux-mêmes, renforçant ainsi leur résilience collective et individuelle.
Le stress post-traumatique est un sujet qui touche les entreprises à deux niveaux.
Au niveau individuel, un collaborateur qui vit un stress post-traumatique est évidemment affecté dans sa vie au travail, dans sa productivité (impactée par la fatigue) et dans ses relations avec ses collègues (impactées par les variations émotionnelles et l’irritabilité.
Au niveau collectif, les entreprises peuvent être le théâtre d’événements traumatisants (des accidents du travail, des réorganisations brutales, etc). Ces événements posent des questions comme : comment maintenir la cohésion d’équipe et la dynamique collective ? Comment continuer à fonctionner ensemble alors que chacun réagit différemment à ces situations difficiles ? Il est donc essentiel pour les entreprises de mettre en place des ressources pour accompagner leurs équipes dans ces situations difficiles.
En tant que collègue on peut être confronté de différentes manières au stress post-traumatique : cela peut être une personne de son équipe qui tout à coup devient particulièrement irritable et conflictuelle ; ou au contraire, une personne qui s’effondre en larmes et cherche du soutien.
Dans le premier cas, il ne faut pas désigner la personne comme étant le problème mais plutôt chercher à comprendre pourquoi elle est si “déclenchée” en ce moment. Vous pouvez laisser de la place aux émotions négatives, les émotions sont normales, mais leur forme doit rester entendable. Une personne qui veut exprimer son désaccord ou sa colère doit apprendre à réguler la manière dont elle la communique aux autres.
Dans le second cas, il faut être attentif à ses propres limites : entendre à répétition des personnes parler de leur traumatisme peut générer des images mentales qui deviennent elles-mêmes traumatisantes. C’est ce qu’on appelle le traumatisme secondaire. Mieux vaut donc éviter de demander des détails trop explicites. Même si la personne en face de vous parle avec détachement, elle peut vous exposer vous.
En tant que collègue, il est souvent suffisant de montrer de l’écoute sans entrer dans les récits précis : "Je comprends que tu as quelque chose de difficile, tu n’es pas obligé de te justifier ni de me raconter quoi.”
Dans les deux cas, pensez à réorienter vers une aide professionnelle : une ligne d’écoute, un suivi psychologique, la médecine du travail, selon les ressources mises à disposition par l’entreprise.
Formation à la santé mentale : ça veut dire quoi, donner des outils pour comprendre comment fonctionne notre cerveau : les émotions ça ne se contrôlent pas mais ça se régule (ne pas chercher à les annuler, ne pas chercher à les juger) ; comprendre pourquoi moi ça me met en colère mais toi ça te rend triste. Plus je comprends comment je fonctionne, plus j’ai d’outils pour comprendre comment et pourquoi les autres réagissent comme ça.
Au niveau collectif, les entreprises peuvent agir de plusieurs manières :
Bien que ce soit une expérience douloureuse, le trauma peut devenir un véritable apprentissage, permettant de mieux comprendre ses forces et de développer des ressources nouvelles.
Lorsqu’une personne entre en thérapie, une des premières choses que je lui fais remarquer, c’est déjà qu’elle a survécu à son traumatisme. Le travail thérapeutique consiste alors à l’accompagner pour mieux comprendre son fonctionnement, réguler ses émotions, et utiliser cette expérience pour avancer.
Par exemple, une personne ayant grandi dans une famille où les cris étaient fréquents peut avoir développé deux types de stratégies :
En thérapie, il ne s’agit pas de supprimer ces mécanismes, mais de les rééquilibrer. Par exemple, apprendre à poser des limites ou à exprimer un désaccord de manière respectueuse, pour soi-même d’abord. De même, des émotions comme la colère peuvent être légitimes, mais l’objectif est d’apprendre à les exprimer autrement : "La colère est ok, mais comment peux-tu l’exprimer sans casser ce qu’il y a autour de toi ?"
Le trauma, bien qu’il soit une épreuve, peut ainsi devenir une opportunité de transformation. Avec le bon accompagnement, il permet de découvrir des forces insoupçonnées, d’équilibrer ses réactions et de renforcer sa résilience face aux défis à venir.
Important : Bien choisir son praticien EMDR
Il est essentiel de rappeler que seule la thérapie EMDR, telle qu’elle est enseignée dans les organismes agréés par EMDR Europe et donnant droit au titre de Praticien EMDR Europe, est reconnue et validée pour le traitement du trouble de stress post-traumatique (TSPT). Cette reconnaissance est accordée par la Haute Autorité de Santé (HAS) en France et par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS).
Toute autre forme de thérapie utilisant les mouvements oculaires ou se revendiquant de l’EMDR sans respecter ce cadre n’est ni reconnue, ni validée scientifiquement. Il est donc fortement recommandé aux usagers de vérifier que leur thérapeute figure sur l’annuaire officiel de l’association EMDR France. Cela garantit un accompagnement conforme aux normes établies et une prise en charge de qualité.
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