En France, 12 millions de personnes sont en situation de handicap(s), dont 80% sont des handicaps invisibles (difficultés sensorielles, psychiques, mentales et/ou cognitives). Et parce que 85% des handicaps surviennent au cours de la vie, ce sujet est en réalité l’affaire de tous. Pourtant, il est encore source de discriminations en entreprise (le taux de chômage est deux fois plus important chez cette population), et par-delà, de souffrance psychologique pour les porteurs de handicap. À quand un véritable changement dans les mentalités ?
Pendant près de 10 ans, Amandine a caché son handicap par peur d’être réduite à sa particularité. Atteinte de surdité depuis son plus jeune âge, elle ne dispose que de la moitié d’une audition “normale” et après une tentative ratée, a refusé de se faire appareiller jusqu’à la naissance de son second enfant. Pour faire face à cette difficulté, cette DRH qui a longtemps travaillé en scale-up a trouvé toutes sortes de stratégies du type : “tu peux répéter, j’étais dans mes pensées”. “Pour contrebalancer cette déficience, j’ai développé énormément d’intuition. Mais il m’arrivait de me retrouver dans des situations stressantes lors de prises de parole en public. J’avais extrêmement peur de la question venant du fond de la salle. Alors j’avais tendance à couper court et à proposer aux gens de me rencontrer après la fin de la conférence”, explique-t-elle.
Ce n’est que récemment, en se lançant à son compte, que cette DRH a décidé de “s’assumer” publiquement sur les réseaux sociaux pour ouvrir la voie à d’autres. “En tant que DRH, on a un rôle à jouer d'exemplarité, pour créer le cadre propice au dialogue, à la confiance et cela commence par assumer son handicap et montrer qu'on peut avoir des fonctions à responsabilité et être un salarié "comme les autres"”, lance-t-elle. À la suite de son post LinkedIn, Amandine a reçu une avalanche de témoignages. “Je ne pensais pas qu’un nombre si important de personnes vivaient mal leur handicap au travail”, explique-t-elle.
Comme Amandine, Estelle a longtemps caché le mal qui la rongeait : une maladie inflammatoire invalidante diagnostiquée à l’âge de 24 ans dont la déflagration a été telle qu’elle l’a empêchée de marcher pendant près de 3 mois. Un coup de massue pour cette soignante en réanimation qui avait toujours pratiqué le sport à haut niveau. “Comme je n’étais pas au clair avec ma maladie, je n’ai pas voulu en parler à l’hôpital ; d’autant que j’étais en réanimation, sur un poste très physique. J’avais peur de perdre mon travail car on aurait pu me percevoir comme moins performante”, se souvient-elle.
Un jour, alors qu’elle se trouve dans le bureau des ressources humaines, Estelle laisse malencontreusement tomber sa notification RQTH (reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé). Là, elle fait face à une réaction qui la blesse instantanément : “la RH s’est énervée en me disant que j’aurais dû la prévenir car elle avait des quotas à remplir. D’un coup, j’ai eu l’impression de devenir un problème”. Estelle rétorque alors à son interlocutrice qu’elle n’est pas tenue légalement de l’en informer, et lui demande de respecter sa temporalité.
Comme Estelle, de nombreux porteurs de handicap - qu’ils disposent ou non d’une RQTH - préfèrent taire leurs difficultés par crainte d’être stigmatisés. Par effet de causalité, ils se suradaptent sans cesse à leur environnement pour répondre aux contraintes professionnelles, avec un risque accru de burn-out. Plutôt que de bénéficier des aménagements dont ils auraient besoin (temps de travail, mobilier etc), les porteurs de handicap compensent jusqu’au point de rupture, comme le démontre le cas de l’ex-soignante qui a fini par quitter l’hôpital pour se lancer dans une activité de vente à distance.
“Parce que l’entreprise n’a pas créé suffisamment de sécurité psychologique (qui est pourtant le facteur n°1 de performance dans une équipe), les porteurs de handicap vont avoir tendance à s’isoler, voire à se désengager du monde professionnel, ce qui va avoir un impact sur leur estime de soi et leur niveau de stress”, analyse Margaux Tancrède, psychologue référente chez moka.care. Psychopraticien Intégratif et Directeur chez Ess’team Conseil, Mathieu Boullenger est spécialisé dans l’accompagnement des travailleurs handicapés. Il nous confirme aussi le lien étroit entre handicap et santé mentale, le premier constituant un facteur de risques supplémentaires pour le second. “Ce sont des personnes qui pour certaines ont été soumises aux moqueries et à la marginalisation dès le plus jeune âge, ce qui a un impact sur la confiance en soi. On sait aussi que le trouble anxieux peut amener le trouble dépressif puis addictif”, affirme-t-il.
Une analyse corroborée par le témoignage de Rémy, atteint d’hyperactivité, et récemment diagnostiqué. Ce trentenaire aux manettes d’un ThinkTank a longtemps souffert sans comprendre les causes de sa différence. “Je me suis rendu compte que quelque chose clochait vraiment quand en prenant un super job, très bien payé, je n’ai plus eu envie de me lever au bout de 2 jours. Ma négativité était telle que j’étais proche d’un syndrome de dépression. J’avais aussi toujours eu des relations houleuses avec mes collègues : avec certains, nous étions très amis, mais avec d’autres, c’était très compliqué. Alors j’ai compris que je ne pouvais pas sans cesse reprocher aux autres cette situation qui se répétait dans chacun de mes jobs”, nous raconte-t-il. Désormais sous Ritaline, il nous confie se sentir revivre, et surtout, mieux se connaître en essayant au maximum de limiter sa fatigue pour éviter de voir réapparaître les traits d’anxiété et de dépression.
Alors que les entreprises forment leurs collaborateurs au management interculturel ou intergénérationnel, elles sont peu nombreuses à prendre en main le sujet de la diversité neuronale et psychique. “Pourtant, tout manager va être concerné par ces sujets sachant que 27% de la population souffre de troubles psychiques : trouble anxieux, dépressif, addictif, risque suicidaire, syndrome de stress post traumatique…”, relève Mathieu Boullenger.
Pour tous nos interlocuteurs, la première étape consiste donc à sensibiliser les collaborateurs à cette thématique, en commençant déjà par établir des distinctions basiques entre un handicap physique (qui peut être inné ou acquis, visible ou invisible), un handicap mental (pas de possibilité de rétablissement) ou psychique (sachant qu’une personne souffrant d’une profonde dépression peut être bénéficiaire d’une RQTH, ce dont peu de DRH ont connaissance). “Pour opérer cette sensibilisation, je recommande d’établir un plan d’action annuel. On peut bien sûr s’appuyer sur des temps forts comme la semaine européenne pour l’emploi des personnes handicapées, ou encore le Duoday (une journée de stage découverte en entreprise, non rémunérée, pour toutes personnes en situation de handicap), mais la sensibilisation doit se poursuivre tout au long de l’année” recommande Mathieu Boullenger.
Pour Margaux Tancrède, il s’agit aussi de sensibiliser les collaborateurs à l’emploi de certains mots ou expressions pouvant être particulièrement stigmatisants comme “de toute façon, c’est un autiste”, “arrête de faire ton hystérique” ou encore “il est complètement schizo”. “Ces micro agressions ne sont pas forcément intentionnelles et souvent liées à une méconnaissance du sujet”, affirme notre psychologue référente. À ce titre, elle recommande également le recours à ce test permettant de mesurer notre propension à discriminer.
Parce qu’ils sont amputés de certaines compétences, les porteurs de handicap en ont surdéveloppées d’autres pour s’adapter. Pour Margaux Tancrède, ils représentent de vrais atouts pour les entreprises avec une forme de loyauté, de motivation et d’engagement souvent hors normes. “Pour l’entreprise qui sait bien les accueillir, cela va stimuler la créativité et l’innovation des équipes. Cela peut aussi impacter positivement la marque employeur”, poursuit-elle. “Malheureusement, l’entreprise a souvent tendance à voir ce qui ne va pas, plutôt qu’à pointer la richesse d’un individu”, regrette Amandine Milgrom, la DRH externalisée, qui recommande l’intervention en entreprise de porteurs de handicap qui ont réussi afin de briser les stéréotypes.
De son côté, Estelle nous confie qu’elle aurait apprécié ne serait-ce que de lire des panneaux d’affichage sur les murs de son hôpital pour se sentir davantage accueillie et savoir vers qui se tourner en cas de besoin. “J’avais juste envie que l’on me dise que j’avais ma place, sans m’infantiliser”, nous confie-t-elle. Avoir des personnes ressources au sein de l’entreprise peut aider le travailleur à s’ouvrir sur ses difficultés en toute confidentialité, puisqu’il est essentiel de respecter le rythme de chacun dans la révélation de son handicap. “Personnellement, je pense qu’il est bénéfique de parler de son handicap. Cela m’a libéré et a permis aux autres de comprendre mon fonctionnement. Je crois beaucoup en la co-responsabilité des deux parties”, lance de son côté Rémy.
Une ouverture rendue possible par des entreprises capables d’entendre que ces travailleurs ont finalement… “un petit truc en plus” !
Quelques ressources pour aller plus loin :
Paulina Jonquères d’Oriola
Dans ce guide en partenariat avec le cabinet de conseil Korn Ferry, vous apprendrez :
Avec moka.care, donnez accès à vos équipes à :
* Résultat de l’étude “People at Work 2022” de l’ADP, en Septembre 2022
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Un monde qui change demande des éclaireurs qui évoluent aussi. Dans ce guide en partenariat avec Kea & Partners, vous apprendrez :
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