Je suis ravi d’être avec toi aujourd’hui à Saint Malo, à une semaine du départ de la Route du Rhum. Merci infiniment de parler de santé mentale avant un évènement aussi important. Avant de commencer, est-ce que tu pourrais te présenter ?
Thomas Coville : Je m’appelle Thomas Coville. J’ai 54 ans et je suis père de deux enfants. J’ai commencé la voile assez tard. J’étais un petit garçon très complexé par son physique. J’ai grandi très tard. Et puis j’ai eu ce coup de foudre pour cette activité au départ, qui était d’aller sur l’eau, cette manière que j’étais d’être moi dès que j’étais sur l’eau, que je sentais le vent sur ma peau, que je sentais le mouvement du bateau.
Dans 8 jours exactement, tu pars pour la Route du Rhum, une course mythique qui relie St Malo à Pointe-à-Pitre en Guadeloupe. Plus de 6500 km, en solitaire et qui a lieu tous les 4 ans. Tu l’as remportée en 1998. Tu as été 3e à trois reprises en 2006, 2010 et 2018.
Je sais que tu as un préparateur mental. Comment est-ce qu’il t’accompagne, comment est-ce que vous travaillez ensemble ?
Thomas Coville : Alors déjà, pour cette route du Rhum, je navigue avec un bateau qui s’appelle Sodebo. C’est un des 8 Ultim. C’est un bateau un peu hors normes : 32 mètres par 23 par 35. Plus le bateau va être technique, plus le bateau va être puissant, plus la proportion de la victoire, de la réussite va être mentale. Elle ne peut pas être juste physique car juste à la force des bras, ce ne serait pas possible de réaliser cette prouesse que de gérer un bateau comme Sodebo. Donc la préparation mentale est essentielle.
Je me fais donc aider par quelqu’un extérieur. Et c’est le premier pas — que je n’ai pas franchi tout de suite. Il m’a fallu me tromper, il a fallu un évènement important, à la Route du Rhum d’ailleurs où j’ai percuté un cargo de nuit, en tête à la sortie de la Manche.
A cet évènement catastrophique, la première phrase de Patricia Brochard, Vice-Présidente de Sodebo, est : “on va continuer avec toi, mais tu vas te faire accompagner.”
Il faut bien distinguer la préparation mentale de l’athlète de la psychanalyse.
Cette première étape de la préparation mentale était notamment de travailler sur la culpabilité que j’avais d’avoir percuté ce cargo. C’était pour que je sorte de ce marasme et me faire prendre conscience de l'interaction dans mon cerveau d'événements, d’émotions, de personnes, de lieux. On a tendance à segmenter toutes ces choses dans notre cerveau, les mettre dans des cases. On ne comprend pas l’interactivité de chacun de ces leviers.
Ça a abouti au record sur lequel je travaillais depuis 8 ans : devenir l’homme le plus rapide de la planète en 49 jours et 3 heures.
Et là, j’ai la peur bleue, qu’ont tous les athlètes, que finalement, ce déclic soit un coup de chance.
On appelle ça le syndrome de l’imposteur : la peur d’être démasqué. De finalement ne pas mériter sa performance.
Thomas Coville : Oui. Passer sous 50 jours était historique. Mais finalement gagner, c’est très fugace comme émotion. Ça dure très peu de temps par rapport au chemin parcouru pour y arriver.
Quelques heures, et quelques jours après l’arrivée, je suis angoissé de me dire “c’est un coup de chance”. Et puis j’ai enchaîné les victoires. Et c’est là que j’ai vu que cette préparation mentale m’avait vraiment fait passer un cap d’un point de vue de ma performance.
Cela permet de briser cette association de la préparation mentale à la psychanalyse. La psychanalyse est une approche parmi d’autres.. A chacun de trouver l’approche qui lui correspond.
Thomas Coville : Oui, et je suis né dans une culture très occidentale, très “connais-toi toi-même.” Et cette fausse interprétation qui consiste à se dire qu’on doit y parvenir seul. Alors, que se faire accompagner, c’est nécessaire.
J’ai lu que tu avais été très marqué par une phrase de St Exupéry dans Terre des Hommes : “L’homme se découvre quand il se mesure à l’obstacle.” Tu comptes 8 tours du monde à ton actif. Il faut quand même avoir envie d’un tel défi.
Thomas Coville : C’est quelque chose que j’aborde avec un profond désir. Une générosité dans mes gestes. C’est au plus profond de moi. On dit que je suis très “courageux” d’avoir fait 8 tours du monde et je réponds “non, j’ai été chanceux de pouvoir en tenter autant”.
Je suis d’accord avec St Exupéry, il faut se confronter à la difficulté, à ses limites. Et rebondir. Cette spirale du rebond est tellement jouissive. Dans ce rebond, il y a une rencontre. A chaque fois, il y a l’autre. Ma femme, les femmes de Sodebo, ma préparatrice mentale…
Il faut pouvoir sortir de cet isolement qu’est le mental. C’est la grande force du siècle qu’on aborde. On devient plus interactifs, plus ensemble.
Alors que la voile semble - de l’extérieur - être un sport très solitaire, tu sembles accorder une place primordiale au collectif..
Thomas Coville : Quand je vais partir pour la Route du Rhum, ce qui va m’animer au plus profond de moi, c’est toute l’énergie que les gens ont mis pour que je sois là : ceux qui ont conçu le bateau. Et je suis l’élu qui a le droit de goûter à cet accomplissement.
Quand tu es submergé par une émotion, est-ce que tu as un mantra qui t’aide particulièrement ?
Thomas Coville : J’ai une image, que tout le monde peut avoir, des gens qui vont se baigner dans de l’eau froide. Et en ayant préparé mon cerveau que l’eau froide n’est pas hostile, et que c’est moi qui ai choisi ce moment. C’est une sorte d’autohypnose qui permet de ne pas avoir d’appréhension.
Comment arrives-tuà maintenir son énergie dans des courses aussi longues et aussi éprouvantes ? A garder cette envie de continuer alors que c’est si exigeant ?
Thomas Coville : J’ai un postulat : le jour où je douterai que je ne serai pas le même à l’arrivée qu’au départ, j’arrêterai. J’ai une chance inouïe : même quand j’ai percuté ce cargo, même quand j’ai eu des envies d’abandon, j’ai toujours eu plus d’énergie à l’arrivée qu’au départ. Et ce malgré la fatigue.
Et quand tu ressens ça, tu sais que tu as trouvé ce qui t’épanouie et te rend heureux.
Cependant, j’ai eu des moments où j’ai perdu beaucoup de poids car avec le stress je m’alimentais mal.
On a l’image très solitaire du marin. On a l’impression que les contacts avec l’extérieur sont très limités. Est-ce que cela peut mettre à l’épreuve la santé mentale du marin ?Et que ça peut impacter l’énergie de manière négative.
Thomas Coville : Alors, déjà, dans le monde moderne on est très connectés. Solitaire et solitude n’ont rien à voir. Quand je pars en mer seul, je l’ai choisi. Quand je pars en solitaire, ça ne m’est jamais arrivé de souffrir de solitude. Je suis même devenu très fort en équipage, parce que j’ai eu ce temps d’introspection en solitaire.
Qu’en est-il de la gestion du sommeil ?
Thomas Coville : Il y a quelques années, nos aînés disaient encore, “c’est celui qui dort le moins qui gagne”. Aujourd’hui, on dit que c’est celui qui dort le mieux.
Or, bien dormir sur un bateau, c’est difficile : on ne sait pas si on va se réveiller. Littéralement.
Je travaille ma respiration, mes visualisations.
Finalement quelle place accordes-tu à la santé mentale dans la navigation ?
Thomas Coville : Parce que les bateaux sont devenus ingérables sans le mental, elle a pris une place prépondérante.
Et quand un homme ou une femme dépasse son rêve, il commence à toucher au bonheur.
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