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santé mentale des soignants

Prendre soin de ceux qui soignent : un hôpital au bord de la crise de nerfs

3
minutes de lecture

En 2022, 94% des soignants étaient dans une situation de fatigue intense pendant leur journée de travail selon le baromètre Lifen. En conséquence, 89% des médecins estimaient que la qualité des soins fournis avait été affectée par leur niveau de stress, preuve que se soucier de la santé physique et mentale des soignants est une réelle question… de santé publique. Mais qui prend soin de ceux qui soignent ?

Saviez-vous que le taux de burnout et de suicide est plus important chez les généralistes libéraux que parmi le reste de la population ?  Que plus de 60% des anesthésistes-réanimateurs présentent un score élevé de burn-out dans au moins une des trois dimensions (épuisement émotionnel, dépersonnalisation ou perte d'accomplissement) ? Que le taux d’envies suicidaires chez les infirmiers étudiants a doublé en 5 ans ?

Les études sur la santé mentale des soignants se succèdent, et malheureusement, se ressemblent. “L’hôpital est en train de couler” entend-on murmurer, “tout le monde le sait, alors nous n’avons pas envie d’en rajouter”, lance Sophie*. Ne pas en rajouter, selon cette infirmière en cancérologie, c’est entre autres taire ses propres souffrances, voire, dans le cas de notre interviewée, ne pas s’épandre sur une situation de harcèlement vécue dans le cadre hospitalier. Un phénomène courant comme le démontre l’actuel mouvement #MeTooHôpital généré par la diffusion d’un documentaire choc sur les coulisses de l’hôpital public (« Des Blouses pas si blanches »). 

Un problème d’effectif, seulement… ?

Mais passons. Sophie nous dit malgré tout avoir le moral. “Je ne vais pas me plaindre par rapport à mes collègues dans les services, j’ai un vrai équilibre depuis que j’occupe un poste avec des horaires de bureau. De manière générale, j’ai toujours fait attention à préserver ma charge mentale, notamment en faisant des vacations”, nous explique-t-elle. Bien sûr, l'infirmière ne peut nier la charge émotionnelle induite par son travail actuel qui consiste à expliquer aux patients atteints d’un cancer leur diagnostic et prise en charge.

Nous accueillons des personnes qui sont dans une grande détresse, confrontées à la mort. Je fais environ 10 consultations post-annonce par semaine et c’est vrai que je me sens noyée parfois. Mais mon poste est en quelque sorte un luxe, il sert à décharger les équipes sur le terrain qui n’ont plus le temps de prendre en charge ce moment clef”, poursuit-elle.

Un problème de sous-effectif connu de tous sur lequel on ne s’étendra pas, et qui n’explique d’ailleurs pas à lui-seul les difficultés rencontrées par les soignants. “Personnellement, je n’ai pas besoin de plus d’effectifs dans mes équipes, si déjà les soignants étaient bien pris en charge, respectés et considérés, ils seraient heureux de venir au travail”, lance Myriam*. Ce qui fait le plus défaut à l’hôpital public aujourd’hui selon cette ex-infirmière devenue cadre de santé dans une unité de psychiatrie ?

Un défaut de reconnaissance symbolique et matérielle. “Les droits des patients ont beaucoup évolué ces dernières années, mais pas ceux des soignants, et je pense qu’il y a aujourd’hui un déséquilibre. Avec le défaut d’attractivité, je vois de plus en plus de jeunes soignants qui refusent leur titularisation”, s’inquiète-t-elle. Et, par lien de cause à effet, elle déplore par la même un recul du niveau de formation des soignants. “Il y a 15 ans, nous avions des psychiatres beaucoup plus aguerris et des infirmiers spécialisés en psychiatrie. Aujourd’hui, nous avons des somaticiens qui ne perçoivent même pas la détresse de leur propre équipe”, regrette-t-elle.

Non, les blouses blanches n’arrêtent pas les pathologies mentales

Et nous ne parlons ici pas uniquement d’un mal-être passager. Pour le Pr Michel Lejoyeux, auteur de l’ouvrage En bonne santé avec Montaigne (Le livre de Poche), il est important de distinguer deux choses : la souffrance au travail et la pathologie mentale. Or, si l’on ne peut nier la prégnance de la première, il ne faut pas éluder la seconde selon le psychiatre. Dépression, trouble anxieux, addictions.. “Il me semble prioritaire de détecter et repérer ces soignants qui pour l’heure passent sous les radars”, regrette-t-il.

Par peur d’être stigmatisée, de perdre son travail, ou par déni tout simplement, cette population pas comme les autres finit par être la plus mal soignée. Seulement un quart des médecins ont un médecin traitant, révèle Maxim Challiot, directeur d’une thèse sur la qualité de vie des médecins généralistes libéraux. “Bien souvent, on se fait vacciner entre deux portes et on n’hésite pas à s’automédiquer”, affirme le jeune praticien de 32 ans, spécialisé dans la médecine physique et réadaptation.

S’automédiquer, c’est aussi se prescrire des psychotropes : c’est le cas de 17,4% des médecins a pu constater Maxim Challiot qui a mené une enquête auprès de plus de 900 praticiens. Une dérive que Christophe Cutarella, psychiatre et addictologue, a également pu observer.

Psychotropes, benzodiazépines, anesthésiques, antalgiques opioïdes… il est facile de se servir directement sur le chariot”, remarque-t-il.

Pour le Pr Lejoyeux, les troubles addictifs chez les soignants sont effectivement un phénomène extrêmement préoccupant. “Toutes les études montrent que l’accessibilité aux produits augmente la prévalence des conduites de dépendance, sans parler du tabac ou encore de l’alcool dont la non consommation est presque culpabilisée dans le milieu car vous comprenez, les soignants ont bien le droit de décompresser”, lance-t-il. Il ajoute aussi que l’autonomie fonctionnelle dont jouissent les médecins à l’hôpital rend encore les cas de détresse plus difficiles à détecter et soigner, puisqu’ils évoluent de manière très indépendante dans les structures.

Pour des structures dédiées aux soignants

Mais alors, que faire pour mieux prendre en charge la santé mentale des soignants ? Pour Michel Lejoyeux, il est urgent que l’on augmente le niveau de culture générale sur la psychiatrie, et que l’on accepte collectivement que les maladies psychiatriques ne soient pas arrêtées par les blouses blanches. Il plaide aussi pour une meilleure détection des pathologies et la mise en place de structures de soins adaptées : “La prévention, c’est bien, mais s'attarder uniquement sur les causes c’est aussi nier que dans le cas de la santé mentale, parfois, certains états sont inexplicables. Pour autant, il existe des solutions pour soigner”

A ce jour, on trouve déjà des cliniques privées dédiées à la santé mentale des soignants, ou encore une plateforme téléphonique portée par l’association SPS, spécialisée dans l’orientation des soignants pouvant aller jusqu’à proposer un séjour de répit ou une hospitalisation psychiatrique dans des structures partenaires. 

Accepter sa propre vulnérabilité

En 2023, un rapport ministériel sur la santé des soignants a également établi un diagnostic de la situation et évoqué quelques pistes. “Ce rapport  va dans le bon sens même si la route est encore longue. Si les Français savaient que l’état de santé des soignants était au pire de son histoire, ils ne voudraient certainement plus aller se faire soigner”, s’inquiète Maxim Challiot. Pour lui, il est urgent que les soignants acceptent leur propre vulnérabilité. “C’est vrai que nous sommes peu habitués à nous ouvrir sur nos émotions. Je suis un jeune médecin et on m’a appris que pour me protéger, je devais garder une forme de froideur et de distance, mais ce n’est pas le médecin que j’ai envie d’être. Sans nous effondrer quotidiennement, je ne crois pas que nous devons nous couper de nos émotions”, lance-t-il. 

Après avoir subi une lourde intervention aux poumons durant ses études, le médecin a pu se mettre dans la peau du patient et regrette le manque de considération et d’empathie de certains de ses confrères. “Les médecins, très paternalistes, parlaient de moi à la troisième personne alors que j’étais juste à côté”, s’émeut-il. Depuis, il s’est fait la promesse de prendre en charge ses patients dans leur globalité, en suivant leurs besoins. Pour ce faire, il a quitté l’hôpital pour rejoindre le milieu associatif, lassé par les injonctions paradoxales de sa Direction, elle-même pressurisée par ses finances.

Rester soudés

Sophie et Myriam, elles, demeurent à l’hôpital, tentant de sauver ce qui peut l’être. L’infirmière en cancérologie nous dit apprécier les groupes de parole mis en place dans son hôpital pour les soignants (groupes “Balint” pour les médecins). Animé par une psychologue extérieure, ce groupe d’analyse de pratique permet à la soignante d’échanger avec ses pairs et d’obtenir leur regard sur des situations qu’elle a vécues. Et puis, malgré son caractère ingrat, il y a encore et toujours la noblesse du métier.

Ce qui nous fait tenir, ce sont les patients et surtout de demeurer soudés entre nous… ainsi que l’humour ! Par le passé, j’ai travaillé dans une équipe de soins palliatifs dans laquelle le médecin et la femme de ménage pouvaient aller boire un verre ensemble. Tout le monde avait son mot à dire et c’était très précieux. Je n’ai jamais autant aimé mon travail qu’à cette période”, affirme Sophie qui plaide pour une organisation moins pyramidale. 

Quant à Myriam, la cadre de santé, elle tente à son niveau de faire bouger les lignes en instaurant un management participatif, et en accompagnant les soignants en difficulté, comme ce fut le cas récemment pour une infirmière souffrant de graves addictions. “Nous l’avons suivie avec la médecine du travail et aujourd’hui elle a pu reprendre le boulot en tant qu’extra à l’hôpital. Il était important de la rassurer sur le fait que non, elle n’allait pas perdre son emploi”, martèle-t-elle. Car oui, les soignants ont le droit d’être vulnérables… comme les autres ! 

Paulina Jonquères d’Oriola

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