En entreprise, on compte 5 millions de salariés aidants. Avec le vieillissement de la population, cette proportion atteindra 25% d’ici 2030. Un chiffre de surcroît sous-estimé car les aidants ont bien souvent du mal à se reconnaître comme tels. Ils sont d’ailleurs 35% à ne pas avoir parlé de leur situation à leur employeur, preuve que le sujet est encore tabou. Alors, que peuvent faire les entreprises pour ces salariés au quotidien pas tout à fait ordinaire ? Et pourquoi ont-elles tout à y gagner ?
“Je suis juste un bon fils”. Cette expression, vous la retrouverez régulièrement dans la bouche de ces aidants qui ne considèrent pas avoir un statut à part entière, et faire simplement montre de leur éthique personnelle. Pourtant, être aidant, c’est comme avoir un second job qui représente en moyenne 10h de travail par semaine. Un manque de prise de conscience qui a un impact direct puisqu’un tiers des DRH ne savent pas que leurs collaborateurs sont aidants. “De plus, on oublie que l’aidance prend différents visages : on peut aider un parent mais aussi un enfant victime de handicap”, souligne Eva Muringer, fondatrice de Flavi, une plateforme communautaire construite en collaboration avec les aidants familiaux et professionnels, pour répondre à leurs besoins spécifiques.
D’après la CEO de cette startup montpelliéraine, les entreprises ne prennent pas encore la mesure du sujet également en raison de la multiplicité des acteurs concernés et de la complexité à les réunir : manager, DRH, responsable QVT, RSE, partenaires sociaux… “On observe que les grands groupes font des choses sur le sujet de l’aidance pour les 50+, mais oublient que le sujet concerne aussi les trentenaires, car on rentre dans l’aidance à 35 ans en moyenne”, renchérit Bérénice Mey, Directrice du développement B2B de Flavi. Or, cette population, que l’on décrit comme la “génération sandwich” est dans une situation particulièrement complexe car elle est prise en étau entre ses devoirs de jeune parent et d’aidant envers ses aînés.
Par peur d’être stigmatisés, de ne pas accéder aux bonnes promotions, les aidants - qui le plus souvent s’ignorent - ne parlent pas de leur situation. Au mieux, quelques confidences à leurs collègues. “L’aidant se forge un masque social qui lui fait consommer beaucoup d’énergie et crée une forme d’isolement et de solitude. En même temps, beaucoup d’aidants compartimentent leur vie pro pour que le travail demeure un lieu ressource”, analyse Margaux Tancrède, psychologue référente chez moka.care. Mais mener de front tous ces engagements conduit de nombreux aidants à l’épuisement. On parle même de burn-out des aidants. “Parce qu’ils sont des éponges émotionnelles, les aidants ne s’autorisent pas à chercher leurs propres besoins, conduisant à une fatigue compassionnelle”, poursuit-elle. Ces derniers souffrent aussi régulièrement de troubles musculo-squelettiques, causés par la nécessité de porter leur proche. Entre le stress ou encore le fait de ne pas honorer leurs propres rendez-vous médicaux (un aidant sur deux renonce à consulter un médecin), les aidants ont du mal à prendre soin de leur santé. Ils sont d’ailleurs un tiers à mourir avant leur aidé, un chiffre terrifiant.
Et du côté de l’entreprise, l’impact de l’aidance est tout sauf négligeable. Pour une entreprise de 100 salariés, l’aidance coûte 160K/an entre le coût direct de l'absentéisme mais aussi les coûts indirects liés à la désorganisation des équipes et au présentéisme.
Seulement 2% des salariés aidants affirment être aidés par leur entreprise. C’est peu, trop peu ! Alors, place à l’action :
Comment l’entreprise peut-elle aider un salarié aidant qui n’a lui-même pas conscience de sa situation ? Pour nos interlocutrices, il est donc évident que le premier volet d’action est préventif. “Souvent, les aidants que nous accompagnons viennent nous voir trop tard, quand ils sont déjà en situation de rupture professionnelle. C’est important que les entreprises puissent les connaître au plus tôt”, constate Eva Muringer. Cette sensibilisation se passe à la fois du côté des parties prenantes de l’entreprise, mais aussi des collaborateurs via des webinaires, modules de e-learning, campagnes de communication etc…
Pour aider les aidants à faire valoir leurs droits, les grandes entreprises peuvent compter sur des assistantes sociales en interne. Pour les PME et TPE, il est possible de mutualiser les ressources avec des assistantes sociales partagées, les dispositifs proposés par les mutuelles ou encore les partenaires extérieurs d’ingénierie sociale. On peut aussi orienter les salariés vers des lieux d’échange comme Le café des aidants, La Maison des aidants, ou des plateformes comme aidants.fr. Des groupes de discussions entre pairs peuvent également être organisés au sein de l’entreprise, animés ou non par un intervenant extérieur. “C’est important que les aidants comprennent qu’ils ont besoin de mettre leur masque à oxygène avant d’aider les autres. Ils ont tendance à se positionner dans le rôle du sauveur (triangle de Karpman), mais ne demandent presque jamais d’aide ”, constate Margaux Tancrède. Or, il est important que les aidants protègent leur propre espace, et surtout déculpabilisent d’avoir leurs activités ressources.
Parce qu’ils doivent jongler avec de multiples contraintes, les aidants ont besoin de pouvoir aménager leurs horaires, de télétravailler, profiter de congés partagés ou d’un crédit épargne temps, ou même de congés supplémentaires concédés par l’employeur. Au travail, près d’1 aidant sur 3 estime avoir perdu en productivité et devoir compenser en augmentant son temps de travail. “Les congés pour aidance familiale sont très peu connus et utilisés, mais il faut dire qu’ils sont aussi très peu rémunérés”, constate la fondatrice de Flavi. En tant qu’employeur, oser aller au-delà du cadre légal est donc un signal fort de soutien envoyé aux aidants, d’autant que dans sa définition juridique, l’aidance ne concerne que le soutien apporté à des proches ayant plus de 80% de taux d’incapacité, ce qui restreint très largement le spectre de personnes concernées.
“Pour faire avancer le sujet, nous devons changer la perception que l’on a de l’aidance, et voir ces salariés comme une ressource très précieuse”, martèle notre psychologue référente. Capacité d’écoute, sens de l’organisation et des responsabilités, capacité d’adaptation, hauteur de vue, prise de recul, sens de l’engagement… Les soft skills développées par les aidants sont nombreuses. Certaines entreprises n’hésitent d’ailleurs pas à les reconnaître avec la mise en place de passeports ou certificats d’aidants. Ces compétences peuvent ensuite faire de ces derniers des référents internes, sortes de “Toxic Handlers”. Il s’agit de personnes aux États-Unis qui aident à gérer les difficultés émotionnelles dans un environnement de travail toxique.
Quand on sait que 50% des proches aidants ne savent pas qu’il existe un statut qui leur accorde des droits, une aide financière, ou du répit, il est essentiel de bien communiquer sur toutes les initiatives mises en œuvre dans l’entreprise pour qu’elles soient connues. Faire circuler l’information, c’est le nerf de la guerre !
Toutes ces mesures vont irrémédiablement rayonner sur la culture d’entreprise et créer davantage d’adhésion tant en interne que sur la marque employeur. Les effets sont bénéfiques pour le salarié aidant, en lui permettant de davantage se protéger, mais aussi sur l’intégralité du collectif. “Une entreprise qui démontre par les faits et non seulement par le déclaratif qu’elle se soucie vraiment du bien-être de ses salariés ne peut que récolter les fruits de sa démarche”, pointe Eva Muringer. Car oui, l’aidance nous concernera tous un jour ou l’autre. Pour sûr, elle devrait devenir un fort enjeu sociétal dans les années à venir.
Sources
-AGIRC-ARRCO, Soutenir les salariés aidants
-Rapport “Engagement des entreprises pour leurs salariés aidants”, France Stratégie, février 2022
-Baromètre OCIRP 2016, l’âge de l’autonomie
-Aider un proche âgé à domicile : la charge ressentie, DREES, 2012
-Étude OCIRP Viavoice sur les salariés aidants, octobre 2023
-https://www.fondation-april.org/images/pdf/Infographie.pdf
-Charte européenne de l'aidant familial Coface-Handicap
Paulina Jonquères d'Oriola
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* Résultat de l’étude “People at Work 2022” de l’ADP, en Septembre 2022
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