Une femme sur six est ou sera victime de violences intrafamiliales au cours de son existence selon la MIPROF*. Le chiffre est abyssal et amène bien des questionnements, y compris dans la sphère professionnelle. Car puisque le travail est l’un des chaînons nous permettant de “faire société”, est-il déraisonnable de penser que l’entreprise a un rôle à jouer ? Sachant qu’au sein d’une même structure, victime et bourreau peuvent cohabiter, avec tous les impacts que cette violence peut avoir en termes de productivité sur les employés… Alors, dans l’hexagone, certaines entreprises ont déjà tranché : elles se sont engagées avec vigueur contre ce fléau de santé publique.
Selon les estimations mondiales de l'OMS, 35% des femmes, soit près d'1 femme sur 3, indiquent avoir été exposées à des violences physiques ou sexuelles de la part de leur partenaire intime ou de quelqu’un d’autre au cours de leur vie. Cela signifie que l’une de ces femmes s’est forcément assise près de vous à un moment ou un autre de votre vie. Peut-être même s’agit-il de votre collègue qui pianote tranquillement sur son clavier et ne laisse rien transparaître de ses souffrances. C’est d’ailleurs ce qui complique grandement la prise en main du sujet. “Certaines victimes vivent depuis tellement longtemps avec ces violences qu’elles ont appris à vivre avec et à les cacher”, relève Noémie Khenkine-Sonigo, Fondatrice de Team’Parents, une plateforme de soutien à la parentalité.
Pour autant, est-ce parce que ces violences sont souvent invisibles qu’il faut les consigner et ne pas s’en préoccuper, que l’on soit simple collaborateur, manager, RH ou dirigeant ? Pour notre interlocutrice, la réponse est évidente : “C’est une responsabilité collective. L’entreprise peut et doit protéger les victimes, déjà parce que c’est un sujet qui concerne tout le monde, mais aussi parce que l’autonomie financière des victimes est un réel facteur de protection”, martèle la spécialiste. Sans compter que pour les victimes, l’entreprise représente souvent le dernier bastion de liberté quand elles peuvent demeurer en activité. “Sans cesse rabaissée et souvent isolée de ses amis ou sa famille, la victime n’a plus la capacité de demander de l’aide à ses proches, c’est pourquoi la main tendue par l’entreprise peut être précieuse, voire sauver une femme en danger et ses enfants”, souligne la fondatrice de Team’Parents.
Malheureusement, les situations de rupture ou de violences intrafamiliales fragilisent le maintien des femmes dans l’emploi (nous parlons ici de femmes car celles-ci sont majoritairement touchées par les violences conjugales, 80% vs 20%). De plus, les entreprises sont encore peu à l’aise vis-à-vis du sujet, par crainte d’un manque de légitimité. “Peu de sociétés sont mobilisées sur ce thème, la parole des victimes est encore tabou, sans compter qu’il existe aussi le cas de couples qui sont tous les deux dans la même entreprise”, souligne Noémie Khenkine-Sonigo. Dans ce cas, un employeur peut-il licencier un collaborateur pour ce motif ? Sur ce point, aucune réponse tranchée : cela dépend des circonstances et de l’emploi.
Face à ces multiples défis, certaines entreprises ont décidé d’agir. Un réseau nommé « Une femme sur trois » regroupe des entreprises comme Korian, L’Oréal, BNP Paribas, Carrefour, SNCF et Lagardère à travers la Fondation Elle. On peut aussi citer Accor qui a lancé avec La Fondation des Femmes, une plateforme dédiée au projet “Abri d’urgence”, destiné aux femmes victimes de violences.
Chez BNP Paribas, le service des Ressources Humaines a décidé de s’emparer du sujet de manière vigoureuse. Dans un podcast, le groupe explique pourquoi et comment les entreprises peuvent s’engager à leur tour. La banque est d’autant plus convaincue de la responsabilité des organisations qu’elle a réalisé une grande enquête en 2019 mettant à jour l’impact des violences sur le travail. “Chez 50% des victimes, les violences subies à la maison ont un impact quotidien sur leur travail : manque de concentration, de confiance en soi, troubles de l’humeur, retards, absences, incapacité à accepter une promotion…”, rapporte Caroline Courtin, Responsable Diversité et Inclusion.
Les mesures phares de BNP Paribas contre les violences conjugales et intrafamiliales :
Les violences intrafamiliales impactent autant la santé physique que mentale des victimes, ce qui va nécessairement jouer sur leur capacité à s’investir professionnellement. “Lorsque le conjoint agresseur exerce un contrôle coercitif, cela peut impacter les horaires de travail, les déplacements professionnels, les sorties entre collègues etc. Bien sûr, cette situation va aussi toucher l’estime de soi. Par exemple, la victime n’aura pas assez d'énergie mentale pour accepter une promotion”, illustre Noémie Khenkine-Sonigo.
Pour autant, on peut également observer des impacts diamétralement opposés au travail. Une victime de violences intrafamiliales peut au contraire s’investir démesurément dans sa vie pro pour retarder au maximum l’heure à laquelle elle rentre à la maison. En fait, il n’existe pas de profil type chez une victime de violences intrafamiliales. Plusieurs schémas adverses peuvent être observés. C’est ce que nous explique Julie Garel, psychanalyste et consultante en psychologie du travail.
Elle observe différents profils :
Alors, que faire concrètement ? Depuis quelques années, il existe des secouristes en santé mentale dans les entreprises, formés sur la base du volontariat afin de repérer les collaborateurs en détresse. On pourrait imaginer que certains salariés volontaires se forment sur le sujet des violences intrafamiliales afin d’orienter et accompagner les victimes vers les bons interlocuteurs. “Cette première personne qui récolte la parole n’est donc pas forcément le manager qui a déjà de nombreuses casquettes. De plus, c’est essentiel que le système d'alerte soit connu et accepté de tous”, relève Julie Garel.
De son côté, Noémie Khenkine-Sonigo insiste sur l’importance de cette première parole confiée : “Pendant longtemps, les policiers n’étaient pas formés à recevoir les victimes de violences intrafamiliales et doutaient de leur parole. Or, cela peut être déterminant dans un parcours. Ceci étant dit, un collaborateur qui recevrait ces confidences ne devrait surtout pas rester seul face à ces dernières. Cela peut aussi créer des traumatismes chez celui qui écoute”.
Au final, rappelons que c’est en favorisant le maintien des victimes dans l’emploi, et en mettant en place certains garde-fous très simples (comme refuser de verser de manière automatique un salaire sur un compte-joint) que l’entreprise peut apporter un soutien précieux aux victimes. De plus, il ne faut jamais oublier que l’on ne peut pas forcer une victime à s’exprimer si elle ne le souhaite pas, sous peine de la mettre encore plus en danger. Pour éviter que le remède soit encore plus nocif que le mal, les expertes recommandent donc des dispositifs subtils comme l’écoute active ou encore des conférences de sensibilisation permettant à l’entreprise de rappeler que sa porte est ouverte et que des solutions existent pour protéger les victimes. Une manière aussi de sensibiliser les agresseurs présents dans l’entreprise dont une partie s’ignore encore tant les violences intrafamiliales sont ancrées dans notre culture. A ce titre, les entreprises peuvent proposer un accompagnement psychologique pour leurs collaborateurs afin d’aider les victimes éventuelles de ces violences.
*Mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains
Paulina Jonquères d’Oriola
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